Y’a pas de battements de cœur.

Cette phrase a 6 ans et pourtant elle résonne encore aujourd’hui. Il faisait froid, nous étions heureux, totalement fou de joie, nous avions attendu pour le dire à tout le monde, nous l’avions annoncé à ma mère avec un paquet de café « grand-mère » à son anniversaire, comble du kitsch je sais, mais ca m’avait fait marrer. C’était l’aboutissement de notre couple.

Ce qui devait être une échographie de contrôle aura bouleversé le reste de notre vie. Je ne l’oublierai pas elle. Grande, blonde aux racines brunes, ses petits yeux pincés derrière ses grandes lunettes rectangulaires, sa bouche fermée sans sourire, qui ne nous a jamais regardé. Nous deux, main dans la main, qui attendions de voir notre enfant. Et cette première phrase qu’elle nous a dite

« Vous êtes certaine d’avoir été enceinte ? ».

Pas de préambule, pas de forme, juste cette phrase qui nous a laissé sans voix. J’ai dû prendre la parole, lui dire que oui, on avait les échos, le test, la prise de sang, enfin oui, de quel droit elle en doutait, ce n’était pas la première écho, ce n’était pas la première fois qu’on allait le voir cet enfant, oui on était sûr.

« Y’a pas de battement de cœur ».

Implacable, sans sentiments, sans état d’âme, sans discussion, sans explication, juste une sentence et un au revoir qui nous laisse dans le froid de cette pièce.  

On doit vider la salle, on ne peut rien faire d’autre que sortir, et affronter l’extérieur. Pas un regard vers nous, pas un mot, rien. Attendre d’être dehors pour la voir fondre en larme. La prendre dans mes bras sans savoir quoi dire, quoi faire. Devoir décider. Dire quelque chose. La maternité. C’est la chose logique.

L’hôpital, les urgences de la maternité. Ces femmes qui passent avec leurs enfants prêts à sortir, et nous, assis, à attendre. Le cirque qui commence. On verra 4 personnes différentes, et à chaque fois il faut recommencer à expliquer, chaque fois il faut redire les mêmes phrases, le même cirque, comme une boucle infernale dont on ne peut pas sortir. Je suis las. Je veux juste me rouler en boule et oublier. L’infirmière, l’interne, l’externe puis le médecin. Chaque fois les mêmes mots, chaque fois réentendre la même sentence, comme un marteau qu’on abat encore plus sur nous, inlassablement, clous un peu tordus et fragiles que nous sommes.

Le reste pour moi est flou. Totalement flou. Je ne sais plus comment on nous a proposé de nous en « débarrasser ». Je ne sais plus exactement ce que nous avons dû faire. Je me souviens juste de cette extrême solitude, de ce couloir de la maternité, de ces femmes enceintes, de ces hommes pressés et stressés qui passaient, et de moi dont le stress d’un seul coup avait disparu, privé de ce sentiment d’être père, perdu dans ce grand couloir. Pour eux le temps passait trop vite, pour moi il était extrêmement lent. Un lac de tristesse perdu dans un océan de bonheur.

Et puis les mots de nos proches.

« Va falloir que tu la soutiennes, ça va être dur pour elle, tu dois l’aider. Tu sais pour les femmes c’est une épreuve de vivre ça ».

Et qui va me soutenir moi ? Qui va m’aider moi ? Je devais prendre mon rôle d’homme à bras le corps, enfouir ce que moi je ressens pour m’occuper d’elle. C’est égoïste d’avoir pensé ça ? Peut-être.

Elle a souffert, et ce qu’elle a dû subir jamais je ne le connaitrai. Mais pourquoi masquer ma peine à moi ? Parce que c’est comme ça ? Dans une fausse couche, si vous en parlez autour de vous, il n’y a que la femme qui a le droit de souffrir, l’homme lui doit « rester fort » pour elle.

Et pourtant…. Pourtant ce petit être qui n’était alors encore pas grand-chose, ce rien, pour moi il était tout. Ma vie avec ce petit truc je l’avais déjà rêvé, je l’avais déjà fantasmé et imaginé.

Mais j’ai endossé mon rôle « d’homme ». Je l’ai soutenu, je l’ai aidé, j’ai été là pour elle. Quitte à moi ne jamais en faire mon deuil. Quitte à ne jamais digérer cette perte.

6 ans… A jamais cassé, à jamais un truc qui cloche, comme un rouage perdu dans une grande horloge. Il me manque à moi cet enfant pas né. Je l’aimais moi cet enfant pas né.

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