On a parfois d’étranges souvenirs qui remontent, des journées de nostalgie où le passé revient par vague, marée incessante qui nous submerge, nous engloutit, et parfois… Nous rassure.
Il y a quelques jours, je réfléchissais sur l’avenir, trouble et effrayant, sans certitude, et en ce jour où la sensation de ne pas savoir où j’allais était si forte, il est revenu. Le passé.
Ce fut d’abord une odeur, celle de mon père, rassurante, réconfortante, cette odeur qui me faisait dire que quoiqu’il arrive tout irait bien, que j’étais en sécurité quelque part, que j’avais toujours un endroit, une personne, qui serait là. Quand je la sentais je savais que rien ne pouvait arriver, qu’il y avait toujours une solution. Je me sentais alors invincible, protégé par une force invisible, la sienne.
Et j’ai entendu sa voix. Pas celle que vous connaissez, pas celle que l’on peut entendre aujourd’hui. Non celle d’avant tout cela, d’avant le début du chaos comme je l’appelle souvent. Celle avec laquelle il me chantait « la mauvaise réputation ». Celle qui me réchauffait entièrement. Cette voix profonde qui m’apaisait comme aucune autre. Certains l’ont oublié, moi elle me reste, elle me marque.
Je me souviens du contact de ma mère, cette main sur mon bras, sur ma joue, cette douceur qui valait toutes les pommades. L’odeur de la fleur d’oranger quand j’étais malade. Le son de ses clés en rentrant à la maison, tous ces petits détails qui faisaient une routine, mais une routine réconfortante.
Je revois la peur dans les yeux de ma sœur, cette peur glaçante, puissante, quand je pensais la perdre, son poids au bout de mes bras, et ce sentiment que je ne pouvais pas la lâcher, que je ne devais pas la lâcher. Jamais. Et cette force que je ne pensais pas avoir pour la retenir, la garder, lui faire croire que tout irait, que je serai là, toujours, et cette promesse que je me suis faite à moi, et uniquement à moi, savoir que peu importe le temps qui passe, elle me lie.
Le ronronnement de mon chat, le soir au fond de mon lit, qui accompagnait mon sommeil, l’odeur provenant de la cuisine chez mes grands-parents quand mamie préparait autant de plats que d’invités, la douceur du feu dans leur cheminée, et le goût atroce de ses pâtisseries que l’on mangeait quand même pour lui faire plaisir. Le regard emplit d’un amour sans fin que mon grand-père posait sur elle. Comment un homme aussi dur et têtu que lui peut-il aimer autant ? Je le vois toujours travailler au fond de son garage sombre, et pourtant… Je m’y sentais si bien dans ce garage sombre, son ombre immense à mes côté.
Le bruit de l’horloge qui ne s’arrêtait jamais, inexorable temps qui passe. Les chemins de Charente, que j’arpentais avec le clan. L’odeur du pineau & du cognac quand on arrivait au Breuil, on pouvait presque être saoul avant d’entrer, ce foutu coq déréglé qui chantait le lever du jour à minuit, à une heure, à deux heures trente, le papier peint sans âge aux formes indéfinies, les parties de pétanque sans fin, et les fromages qu’on finissait inexorablement par ramener et qui se rappelait à nous plusieurs jours plus tard en tant qu’odeur tenace dans le véhicule familiale.
Le contact du bois de ma guitare contre mes mains, la vibration de ses cordes se répercutant dans chacun de mes os comme à l’unisson, et ce temps qui passe sans que l’on ne s’en rende compte. Le stress avant chaque représentation, cette sueur coulant dans mon dos avant de monter sur scène, et cet abandon totale à la musique et à notre publique quand le chef d’orchestre commençait.
J’entends encore « Porcelain » des Red Hot résonner dans ma voiture, fenêtre ouverte, la nuit pour aller dieu seul sait où. Conduire pour conduire, sentir la route qui déroule et juste oublier un instant l’humanité, mon humanité, pour rouler.
Le premier sourire de celle qui sera ma femme, notre premier regard complice en volant la bière de son amie tellement occupée à parler qu’elle en oublie qu’elle buvait. Ce premier jeu de chat et de souris, je ne sais d’ailleurs toujours pas qui était chat et qui était souris. Mais cela n’a finalement que peu d’importance. La première fois que je l’ai vue pleurer aussi, sans savoir réellement ce que je devais faire, impuissant. Moi l’homme de la tchatche, celui qui a toujours le bon mot, qui ne sait plus quoi dire.
La rage aussi, cette rage qui ne s’arrête plus depuis le début du chaos, cette envie de hurler qui bout et ne demande qu’à exploser épreuves après épreuves, cette envie de prouver que derrière la froideur et le masque, il y a une force, celle d’avancer, encore, toujours, ne jamais s’arrêter, quoiqu’il arrive, et quoiqu’il en coûte.
Et mon sourire, celui qui reste sur mes lèvres en sortant de mes souvenirs. Oui j’ai morflé, peut-être plus que d’autres, surement moins que beaucoup. J’ai eu mon lot, et je sais qu’il n’est pas fini. Pourtant… Pourtant j’aime ces instants qui restent. Ces moments qui me reviennent. Ils me donnent cette force dont j’ai cruellement besoin. Cette force qui me fait parfois défaut ces derniers temps.
Quand il ne reste plus que la rage, nous devenons aveugles, rectification, je deviens aveugle. J’oublie facilement ce que j’ai déjà traversé, pour ne voir que ce qui me fait face. Cela n’a jamais été la solution, et ces instants de nostalgie sont là pour cela. Me souvenir du chemin déjà parcouru pour se rappeler que je suis capable d’arpenter celui qui m’attend.
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=aCw6DIQHuhM&w=560&h=315]