Le chômeur bien souvent, quoiqu’on en dise, et quoiqu’on puisse croire, se lève tôt. Premièrement car il n’est pas fatigué. Le chômeur s’ennuie, et l’ennuie ne fatigue pas, il rend indolent rien de plus. On allume l’ordi, lance les boites mails (le chômeur a souvent beaucoup d’adresse, comme autant de personnalités refoulées), on ouvre les réseaux sociaux et les pages de recherche d’emploi, et on va se servir son café en allumant la télé pour entendre encore et toujours comment tout va mal (ne vous en faites pas on est très bien placé pour le savoir).
On épluche les annonces, on répond parfois, souvent sans grande conviction (cela fait longtemps qu’on a plus la conviction), et on vaque à autre chose. On se lave (oui oui même nous), on fait sa vaisselle, son ménage, son lit, on nettoie même le chien qui traînait dans un coin et qui franchement lui n’a rien demandé! Et durant tout ce temps on revient voir ses boîtes mails, au cas où, « on sait jamais ». On a perdu la conviction mais pas l’espoir qui sait.
Parfois on refait tout à zéro, un nouveau cv, encore 1 (oui je dois en avoir 15 différents sur mon ordi), des nouveaux modèles de lettres de motivation (qu’il devient de plus en plus dure à rendre motivées). Et on écoute toujours d’une oreille distraite la télé, qui continue de nous dire que tout va mal (enfin après la vidéo du petit chat tout mignon qui se frotte le nez avec un doudou. C’est choupi… Je m’en fouts, mais c’est choupi).
Ho un mail! Est-ce que je veux économiser de l’argent en le plaçant dans un super truc de la mort qui tue que même ma grand-mère elle sortirait de la tombe pour en profiter? Heu ok, vous me donnez l’argent d’abord?
Et puis on regarde l’heure . Il est même pas midi. Bien. Alors on check de nouveau les réseaux sociaux, on modifie un truc ou deux « au cas où » (vous verrez que cette phrase devient la favorite du chômeur avec le « on sait jamais ») . Et on regarde sa boîte mail qui ne clignote désespérément pas.
Alors (pour ma part car c’est ma passion), on lance une partie sur un des nombreux jeux en ligne qu’on hante de notre présence sans fin. On monte son 6 ou 7eme personnage au niveau maximum, comme on l’a déjà fait auparavant sur tous les autres jeux qu’on a écumé. On l’optimise au poil de cul prêt pour être le meilleur, après tout, on a pas grand chose d’autre à faire que de faire des maths et des probabilités, c’est un peu notre lot quotidien. Et pendant que nos camarades de jeu nous disent « Culé tu roxxx du poney en slip » (comprenez « mon dieu brave compagnon tu as découpé cet ennemi si rapidement, que je n’ai pas eu le temps de sortir mon arme de son fourreau, damn »), on garde un oeil sur la boîte mail, qui a définitivement décidé de nous dire « ou pas ». Et on culpabilise, on culpabilise car on joue, car on fait autre chose, car on s’adonne à une passion, alors qu’on est chômeur, on devrait chercher. Difficile de chercher ce qui n’existe pas.
Et le temps ne passe toujours pas.
Alors parfois la boîte mail s’allume, et une légère lueur d’espoir renait un instant. Au moment de l’ouvrir, il y a deux débuts possibles.
« Monsieur,
Après avoir étudié votre profil, et malgré un CV intéressant…. »
Vous vous êtes arrêté au malgré, pas la peine de continuer. Bien sûr vous savez qu’à la fin il y a marqué « on garde vos coordonnées dans notre base de donnée, pour toute proposition que nous pourrions avoir à vous faire ». Mais vous savez aussi pertinemment que le mec qui a écrit cela, que c’est une fumisterie. Une formule de politesse de plus pour vous dire « on vous aime bien, mais pas assez ». Si vous recevez une réponse, c’est souvent cette phrase que vous verrez.
Ho ne croyez pas que je leur en veux, car même si c’est souvent du mail automatique, il y a au moins une réponse. Et ça c’est sans prix quand on est chômeur. Et oui le chômeur aussi a des sentiments, il aime bien savoir qu’il a été lu, que quelqu’un a pu profiter de sa prose entre le « Madame, Monsieur », et le « Cordialement ». Ca donne un côté important à la candidature, ça lui donne du sens, et le chômeur plus que personne a besoin de sens.
Parfois, rarement, mais parfois, vous recevez un mail proposant un entretien. Et là dans la tête du chômeur c’est le jackpot, son petit cœur s’emballe. C’est un peu comme si Crésus revenait sur terre pour vous dire qu’il allait faire de votre vie un paradis. C’est gagné au Loto mais en mieux (oui oui, le chômeur est persuadé qu’avoir un travail est mieux que de gagner au loto.. Quel con ce chômeur).
Vient la date tant attendu. Ne croyez pas que le chômeur se lève pile à l’heure du rendez-vous, se jette dans les premières fringues venues, et sort. Non… Le chômeur ca fait deux jours qu’il a tout prévu, le réveil a été mis, et remis, et revérifié, et remis au cas où (on sait jamais, on est tellement occupé qu’on aurait pu oublier). Il a lavé la tenue qu’il va porter, mais a décidé d’en changer, donc il en a lavé une autre, mais finalement il ne la mettra pas, il remettra la première, qu’il relavera bien sûr, il pourra pas non plus faire ca toute la journée, c’est pas comme si le chômeur avait l’argent pour avoir une garde-robe bien remplie.
Toute la veille du rendez-vous, aura été préparé pour le rendez-vous.
Le chômeur a étudié le trajet, les raccourcis, les voies détournées, les « au cas où » il y ait une attaque de titan sur le trajet, et même les sorties d’urgence les plus longue « on sait jamais » (je vous l’avais dit qu’il aimait cette phrase). Si il pouvait, le chômeur aurait déjà les plans de votre entreprise chez lui (il les a parfois d’ailleurs). Il sait tout ce qu’il y a à savoir sur vous. Votre taille, votre poids, quels vacances vous avez faite l’année dernière, et le nom du petit dernier. Le chômeur est prêt.
Mais le chômeur stresse malgré l’air désinvolte et blasé qu’il se donne, le chômeur a peur. Il est terrifié, il veut plus que tout que quelqu’un l’aime. Et pas n’importe qui, non. Le recruteur. Parfois il perd pied, rate son entretien. Parfois on lui répond qu’il y a eu quelqu’un de plus qualifié. Et parfois on lui annonce juste que le poste est repoussé à une date ultérieure non connue pour l’instant (comprenez « ceci était notre dernière correspondance »).
Et pourtant ce petit entretien, dans la vie du chômeur, ça a été comme un doux moment a passé. Quelqu’un l’a lu, l’a écouté, il a pu discuter, échanger sur son travail, sa passion, ce qu’il veut faire. Il a eu un contact avec un humain extérieur à son cercle habituel, et il a apprécié. Alors oui la douche est froide quand cela ne donne rien, ne nous mentons pas, mais ce petit instant vaut plus que tout le reste (le chômeur est un grand sensible).
Parfois, on a rendez-vous avec un conseiller de paupaul (diminutif amical de pôle-emploi cette fabuleuse institution). Cette gentille personne, va vous recevoir, et vous discutez, 30 minutes en moyenne. Vous parlez de où vous en êtes, de comment vous avancez, ils vous impriment quelques offres, et vous demandent ce que vous prévoyez, vous parle de nouveaux contrats, de nouvelles types d’aide, qui auront disparu lors de votre prochain entretien, ou dont l’acronyme aura été modifié. Vous repartez avec pleins de papiers, pour dire que vous continuez à chercher, que vous êtes motivé, que… Bref, ce que vous saviez déjà, et qu’elle savait déjà.
Et vous rentrez chez vous, pour regarder de nouveau votre boîte mail, qui a l’air de bien se marrer durant votre absence (boîte mail que vous avez déjà checké 4 ou 5 fois en attendant votre rendez-vous depuis votre smartphone. L’avantage de la technologie c’est qu’on est jamais bien loin de son échec). La journée quant à elle, n’a pas plus avancé.
Parfois le chômeur envoie tout péter. Il prend une journée pour lui, une journée où il n’ouvrira pas sa boîte mail, où il n’ira pas regarder les offres d’emploi, où il ne regardera pas les infos. Parfois il prend juste une journée pour se souvenir qu’avant d’être chômeur, il est un humain. Un être qui a des envies, des passions, des choses qu’il aime, et qu’il ne fait plus (faute de moyens, faute d’envie, faute de motivation). Il se met des films, se fait une journée à se gaver de cochonneries devant son écran à regarder Mcclane sauver la ville pour la 3eme fois, Luke découvrir qui est son père, ou part en balade avec le chien (qui cette fois l’avait demandé). Parfois il va voir des amis, mais rarement à l’extérieur (le chômeur ne se permet pas de dépenser de l’argent pour une sortie). Parfois il veut juste qu’on le voit comme autre chose que « le chômeur ». Alors il profite. Avant de culpabiliser de nouveau le lendemain. Mais cela au final n’a que peu d’importance. Il aura pendant une journée était autre chose que son échec.
Il n’y a pourtant qu’un seul constat quand la nuit tombe enfin: les journées sont longues.
<3
C'est bien résumé… J'y retrouve bien monsieur mon mari qui doit avoir fini fallout pour la 28 ème fois…