Y’a des fois on vous pose des questions, qui vous laissent en état de réflexion pendant plusieurs jours.
Moi qui d’habitude répond toujours assez rapidement, je me retrouve là à devoir réfléchir avant d’écrire.
La question ?
« Et toi tu en penses quoi de la grogne des intermittents ? »
Ha… J’en pense quoi… Je devrai penser ? Ha oui il est vrai que j’ai ce statut, j’ai bien un code, je suis dans les fichiers, tout ca tout ca, c’est certain… Mais d’un autre coté ce statut ne m’a rien rapporté. Et franchement quand on voit que la plupart des prod me demandent de passer par un statut d’auto entrepreneur plutôt que de devoir payer des charges, je me demande parfois si réellement ce statut à un intérêt.
Vivre de son intermittence est une gageure. Non réellement, oubliez un instant tout ce que vous pensez savoir sur le sujet, et réfléchissez-y à tête reposée.
Etre engagé pour une journée de travail (voir quelques heures), et savoir que lorsque le clap de fin va retentir, vous n’aurez rien le lendemain (ni, si vous avez peu de relation, les jours suivants). Finir certains contrats à 1H voir 2H du matin, pour reprendre le lendemain à 6H et ce sans modification de votre temps de travail effectif. Avoir des périodes de creux sans fin, où vous calculez pour savoir si vous aurez l’indemnisation (raté, il te manque des heures, same player shoot again), et continuer à courir derrière des contrats hypothétiques qui seront finalement donnés au stagiaire du coin, ou au cousin du copain de la tante de sa sœur (oui là y’a une pique d’aigreur je l’avoue volontiers)
Avoir une précarité que même un intérimaire ne désire pas (et j’ai été intérimaire), moi comme la plupart de mes camarades nous rêvons de contrat fixe, mais le système est ainsi, et on s’y adapte. Au départ le statut devait permettre aux personnes de passer par des phases de création afin de continuer à faire vivre et évoluer l’art français. Aujourd’hui, le système permet à peine à certains de survivre.
Mais non, je n’irai pas battre le pavé avec les camarades. Alors oui j’entends déjà le « tu es paradoxal, tu dis que le système doit être maintenu, que le système est important, mais tu ne veux pas le défendre ».
Non c’est pas tout à fait ca. Je veux défendre un système qui sur le papier me semble une solution durable pour grand nombre de précaires comme moi. Car ce système permet à vos programmes d’arriver dans votre boite à image. Car ce système permet de garder un art français fort et compétitif. Je veux défendre les copains avec qui je galère tous les jours en espérant recevoir le coup de fil qui nous dira « demain, tournage ».
Mais battre le pavé veut aussi dire me retrouver aux cotés de ceux qui ont perverti ce système. Ceux qui ont « trouvé les failles », et qui ont fait que ce système est devenu aux yeux de nos concitoyens un système de petits privilèges.
Le système social et économique français n’est pas mauvais. Il n’est pas pourri, il est même sur le papier ultra protecteur, avec une capacité à fournir à chacun les moyens et les méthodes pour vivre. Quoique vous en pensiez, sur le papier il marche.
Non… La véritable exception française, c’est la perversion avec laquelle les gens ont corrompus ce système. Le copinage, et la cupidité des uns, enfoncent continuellement la capacité à survivre des autres.
Dans un système parfait, pour chaque production qui touche des subventions diverses et variées, pour chaque création, des intermittents du spectacle devraient être embauchés, permettant à chacun de vivre relativement décemment, débloquer leurs droits, créer ainsi de la masse salariale en développant des projets en rapport avec leurs activités durant leurs périodes de vide, créant par la même des productions, qui à leur tour devront embaucher de l’intermittent… etc etc etc….
Dans la réalité… Les subventions ne sont pas (ou peu) redistribuées comme elles devraient l’être. Là où on devrait engager un intermittent, on prend un stagiaire, un auto-entrepreneur (qui ne coûte pas de charge, mais qui ne rentrera pas dans le système), on prend le cousin du petit dernier qui un jour à touché une caméra ou un ordi pour filmer son chien sur un skate, pendant que vous pouvez vous carrer vos années d’études, de recherches, de connaissances là où vous le voulez.
Le statut en lui même est une bonne chose, une bonne idée, un système qui devrait même être étendu à d’autres statuts précaires comme l’explique si bien Matthieu Grégoire, mais tant que l’application de ce statut restera ce qu’elle est aujourd’hui, les choses n’évolueront pas, ne grandiront pas, ne profiteront à personne, si ce n’est à une minorité de nantis qui ont été assez malin pour exploiter la faille.
Je vais être franc avec vous, j’ai hésité plusieurs fois sur ce texte par frousse. Prendre la plume dans ce milieu, peut être aussi efficace que de donner la corde pour qu’on vous pende. On a la rancune facile dans le spectacle, et vous vous retrouvez blacklisté bien plus rapidement que la culotte d’une starlette de la téléréalité ne se retrouve sur le sol. Mais pour comprendre ce ras le bol il faut comprendre d’où il vient.
Pour les quelques personnes dont vous voyez les noms partout, qui s’affichent sur votre magazine, et apparaissent à la télé, il y a des centaines d’autres anonymes qui vivent (parfois difficilement) grâce à un statut que vous ne comprenez pas. Et il y en a encore plus qui se battent au jour le jour pour continuer à avoir envie de se réveiller le lendemain matin. Chaque jour il faut trouver une force sans faille pour avoir envie de continuer à avancer dans ce domaine si ingrat. Pour avoir envie de continuer à faire briller les yeux des spectateurs, offrir à l’humain cet instant de grâce où il oublie un instant la difficulté de sa journée.
Vous êtes une marchandise jetable, une marchandise interchangeable, et pourtant vous acceptez ca, par passion. Cette exception française n’est pas propre au domaine des intermittents et du spectacle, elle existe partout, mais elle est nettement plus visible dans ce milieu de part sa taille réduite, et surtout son impact direct sur les médias et la visibilité qui nous est offerte au grand public. Beaucoup de petits ne vivront jamais de leur passion, de leur force, et de leur talents. Certains comme moi ont passé des années à étudier, des connaissance théoriques et pratiques dans un domaine précis, et n’arriveront jamais à entrer concrètement et de plein pied dans un domaine pour lequel ils sont qualifiés.
Et ce n’est pas un problème de statut, c’est un problème social bien plus profond, qui créera quoiqu’il arrive cette incompréhension du public, et ces disparités, qui provoquent aujourd’hui les troubles que l’on connaît.
Dans le système actuel, pour chaque subvention, pour chaque production, très peu d’intermittents (hors copain du copain) sont engagés, on leur préfère des contrats de stagiaires, des factures, etc etc, l’argent lui n’est pas redistribué, les gens n’ont aucun droit quand la production artistique est finie, et ne peuvent créer en contrepartie, et donc ne peuvent faire perdurer un système en provoquant à leur tour une production artistique de qualité…
On crée beaucoup plus facilement quand on a de quoi s’acheter à manger.
En conclusion, et pour résumer le pavé.
L’intermittence se doit d’être gardée, voir même développée, mais c’est son application et son utilisation par les décideurs qui doit être modifiée. Plutôt que de réfléchir au statut, oh combien efficace dans un monde parfait, pourquoi ne pas juste réévaluer la façon dont il est utilisé ?
Le problème est toujours le même. Je peux ouvrir une boite de conserve avec un tournevis mais c’est plus efficace avec un ouvre boite. Les outils sont les bons, leur application ne l’est pas.
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